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Au Maroc, la rue se mobilise pour Gaza, le pouvoir maintient sa coopération avec Israël

Au Maroc, la mobilisation contre le rétablissement des liens officiels avec Israël monte d’un cran. Pour la première fois depuis la normalisation de 2020, le milieu étudiant a mené, lundi 7 octobre, « une action coordonnée à l’échelle nationale », réunissant plusieurs milliers de personnes dans une quarantaine d’universités et d’écoles supérieures, dont celle où étudie le prince héritier Moulay Al-Hassan à Rabat, selon un leader du mouvement. La veille, une marche unitaire avait réuni plusieurs dizaines de milliers de manifestants dans la capitale marocaine, alors que d’autres actions sont prévues cette semaine.
Un an après l’attaque du Hamas en Israël, qui fit près de 1 200 morts et se solda par la capture de plus de 250 otages, selon un bilan officiel – déclenchant en représailles l’offensive israélienne à Gaza – il n’est pas exagéré de parler de désunion entre une partie des Marocains et l’initiative du roi Mohammed VI.
Le souverain avait personnellement acté le rapprochement au grand jour avec l’Etat hébreu, mettant fin à la relation informelle qui durait depuis vingt ans entre les deux pays. Or, selon un sondage réalisé entre décembre 2023 et janvier 2024 par le réseau de recherche Arab Barometer, seuls 13 % des Marocains interrogés se disaient encore favorables à ce réchauffement des relations. Ils étaient 31 % en 2022 et 41 % en 2021.
Nul doute que cette prise de distance s’est accentuée depuis, le bilan humain à Gaza dépassant les 41 000 morts, selon le Hamas et des organisations internationales. L’éventail des voix dissonantes s’est également élargi.
Les réprobations ne viennent plus seulement des couches populaires, de la jeunesse, d’activistes, d’intellectuels, de partis politiques ou de syndicats. Elles émanent de célébrités, à l’image de la star de l’équipe nationale de football, Hakim Ziyech, récemment classé dans le top 10 des personnalités préférées des Marocains. « Honte à mon gouvernement qui soutient le génocide [à Gaza] », a-t-il écrit, le 21 septembre sur Instagram, récoltant en retour les critiques ou les éloges d’une presse elle-même divisée.
Approuvé au plus haut niveau, sans consultation du Parlement, l’accord du 22 décembre 2020, jour de la déclaration conjointe entre le Maroc, les Etats-Unis et Israël, est plus contesté que jamais. En gagnant en échange la reconnaissance par Washington et Tel-Aviv de sa souveraineté sur le Sahara occidental, Rabat espérait pourtant rallier une opinion publique historiquement frileuse à toute alliance avec l’Etat hébreu.
Pour y parvenir, l’assentiment des islamistes fut primordial : alors chef du gouvernement, c’est une figure du Parti de la justice et du développement (PJD), Saad-Eddine Al-Othmani, qui signa le texte scellant la normalisation. « L’intégrité territoriale », totem de la politique extérieure du Maroc, passait avant tout, même auprès des plus farouches détracteurs d’Israël. Le roi avait par ailleurs prévenu : sans y être conditionnée, l’institutionnalisation des relations avec Tel-Aviv devait se faire dans le respect des « droits légitimes » des Palestiniens à un Etat. « Mais l’après-7-Octobre a brisé ce consensus », affirme un député de l’opposition. Le PJD a entretemps reconnu son « erreur ».
A la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, le 24 septembre à New York, l’actuel premier ministre marocain, Aziz Akhannouch, a bien assuré que « l’intérêt que nous attachons aux affaires internes de notre pays ne saurait nous détourner de la tragédie du peuple palestinien ». Il n’empêche : cette position de principe, qui constitue l’axiome du Palais, fait figure de mantra. Ni résolue ni éludée, malgré les accords d’Abraham de 2020 et 2021, qui ont arrimé Israël à quatre pays arabes, dont le Maroc, la question palestinienne est revenue au centre de l’actualité, renvoyant les semonces de Rabat, après douze mois de guerre à Gaza, à ce qu’elles sont, de l’avis de nombreux analystes : des exigences de pure forme.
« Oui, le Maroc soutient la création d’un Etat palestinien et condamne les violations du droit international par l’armée israélienne. Mais est-ce que cela se traduit par des pressions diplomatiques sur Israël ? Officiellement, non », observe Intissar Fakir, du centre de réflexion américain Middle East Institute. A l’instar de la plupart des capitales occidentales ou arabes, Rabat obéit à des considérations pragmatiques, aucune protestation formelle n’ayant été adressée au bureau de liaison de l’Etat hébreu au Maroc.
Certes moins démonstratifs voire confidentiels, les rapports entre les deux pays n’ont pas connu d’inflexion majeure, même au plus fort des assauts de l’armée israélienne à Gaza. L’escale technique au port de Tanger, les 6 et 7 juin, du Komemiyut, un nouveau navire d’assaut amphibie de 95 mètres, l’un des plus grands de la marine israélienne, en est l’illustration.
Autorisé par le Maroc, l’accostage de ce bâtiment, qui doit servir en Méditerranée et en mer Rouge, a été logiquement perçu comme le signe que les deux pays « poursuivent leur partenariat militaire, malgré les protestations et les inquiétudes liées au conflit », souligne la fondation du collège de défense de l’OTAN.
Rien de surprenant, donc, à ce que le Maroc, qui jouit comme l’Etat hébreu du statut d’allié majeur non-membre de l’Alliance atlantique et qui participe à sa plateforme d’interopérabilité, soit devenu un client important de l’industrie de défense israélienne. Elle était son troisième fournisseur en 2023, avec une part de marché voisine de celle de la France, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri).
Déjà questionné avant le siège de Gaza, le maintien de cette coopération stratégique cadre de moins en moins avec l’image d’un monarque qui s’efforce d’apparaître comme le défenseur de la cause palestinienne. « La normalisation ne sera pas remise en cause, mais le roi a tout intérêt à ce que les combats se terminent au plus vite », estime un parlementaire de la majorité.
Pour Rabat cependant, le récit de l’après-7-Octobre est tout autre : sa proximité avec Tel-Aviv serait bénéfique aux Gazaouis. Alors qu’une cargaison d’aide humanitaire en provenance du Maroc était entrée dans l’enclave, en mars, depuis le poste-frontière israélien de Kerem Shalom, une source au ministère marocain des affaires étrangères avait affirmé que c’était la première fois, après cinq mois de guerre, qu’un tel acheminement était rendu possible, ajoutant que l’opération était la preuve que « [l]es relations [du Maroc avec] Israël servent la cause de la paix et défendent les droits des Palestiniens ».
Alexandre Aublanc (Casablanca (Maroc), correspondance)
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